Les îles Andaman, symboles d'un monde qui disparaît


Pour les autorités indiennes, ce sont les "nouvelles Maldives" : les îles Andaman, un paradis tropical de lagons bleus, situé dans l'Océan indien, connaissent aujourd'hui un développement touristique accéléré.
Mais celui-ci affecte le milieu naturel et le mode de vie des premiers habitants, les tribus Jarawas, Onges et Sentinelles, qui sont menacés de disparition.

Les Andaman forment la plus grande partie des 752 îles de l'archipel des Andaman & Nicobar.
Longtemps isolé, c'est l'un des sites les mieux préservés de la planète, qui comporte un vaste réseau de mangroves, habitat naturel d'espèces rares.

Une biodiversité sous pression

Les forêts y couvrent encore 80% des îles et celles-ci abritent une grande biodiversité, composée de plus de 9.100 espèces végétales et animales (oiseaux, reptiles, mammifères, mais aussi orchidées rares).

L'écosystème marin recense, lui, plus de 6.400 organismes vivants: coraux, poissons rares, dauphins, crocodiles marins, ou tortues, déjà en voie d'extinction. Le milieu est en effet de plus en plus perturbé par les constructions sur les plages, le surf, la pêche au gros, le carburant et les vibrations des bateaux et des hydravions, ou la plongée sous-marine.

Quant à l'environnement terrestre, déjà affecté par le tsunami de 2004, il souffre du développement des transports (avec le percement de routes côtières et intérieures) et des constructions hôtelières. Et, plus généralement, d'une pression démographique accrue, due à une politique de peuplement depuis l'Indépendance.

Les îles sont ainsi de plus en plus polluées par les déchets, qu'elles sont mal équipées pour traiter : la capitale Port Blair en rejette à elle seule 76 tonnes par jour, dont 10% de plastiques, selon le Central Pollution Control Board.

Les Andaman, réputées pour leurs plages - parmi les plus belles au monde - accueillent désormais quelque 300.000 visiteurs chaque année (1) : elles sont une destination à la mode dans la classe moyenne indienne, notamment pour les voyages de noces.
Le gouvernement indien veut aussi en faire une escale de la nouvelle route de croisière qui reliera Bombay à Bali, en dépit de l'impact écologique désastreux des énormes bateaux (qui transportent jusqu'à 6.000 passagers) utilisés pour ce tourisme en plein essor.

Des peuples en train de disparaître 


Les flux touristiques, qui sont surtout indiens, s'accroissent de 17% chaque année. Mais outre ses effets sur l'écosystème insulaire, cette activité marginalise encore davantage les populations autochtones qui peuplaient l'archipel avant l'afflux de populations du continent.

Les peuples premiers des Andaman sont les Jarawas, les Onges, les Sentinelles et les Grands Andamanais. Et ils sont tragiquement en déclin : massacrés ou atteints par des épidémies au 19e et 20e siècles (dont des virus importés du continent, comme la rougeole), ils ne représentent plus qu'une petite minorité des quelque 400.000 habitants que comptent les 36 îles habitées de l'archipel.  

À l’arrivée des Britanniques dans l'archipel, il y a un siècle et demi, les Grands Andamanais étaient environ 5.000. Ils ne sont plus que 52, selon Survival International, l'ONG qui défend les aborigènes des Andaman depuis plus de 20 ans. Ce qui en fait une des plus petites ethnies au monde.

Les Jarawas, dont on estime le nombre à quelque 8.000 avant l'arrivée des Britanniques, sont aujourd'hui moins de 300, selon Survival International. L'ONG a dû lancer une pétition mondiale pour obliger le gouvernement indien à abandonner l'idée de les déplacer vers d'autres îles.

Les Sentinelles, trop isolés pour être recensés, sont probablement moins de 200. Les Onges sont désormais moins d'une centaine. Quant à l'ethnie des Jangil, elle a totalement disparu dans les années trente, soit faute de descendance, soit par métissage ou acculturation : personne ne sait.

Cette disparition progressive des populations autochtones détruit la richesse humaine et culturelle de l'Inde. Le déclin des tribus accélère notamment l'extinction des langues vernaculaires des Andaman, dans un contexte de disparition rapide des langues tribales de l'Inde.

L’aka-bo, autrefois parlé par les Grands Andamanais, est ainsi définitivement éteint depuis le décès, le 26 janvier 2010, de Boa Senior, s sa dernière locutrice, à 85 ans. "Dans ses derniers jours, elle ne parlait plus qu'aux oiseaux, parce que personne sur son île ne la comprenait plus", témoigne G.N. Devy, le linguiste indien qui recense les langues minoritaires de l'Inde
L'aka-bo était parlé depuis 65.000 ans : c'était l'une des plus anciennes langues au monde. 

D'odieux safaris humains

Andaman Trunk Road
Reléguées dans des réserves, les dernières populations tribales  des Andaman survivent des ressources de leur jungle et zameen, les forêts et les terres qui leur restent. Sur des territoires de plus en plus restreints.

Mais le tourisme a définitivement altéré leurs modes de vie. Chaque jour, des véhicules de tourisme engorgent la AndamanTrunk Road, la route qui relie Port Blair à leur réserve, pour aller déverser dans leurs forêts des centaines de curieux, qui prennent en photo les dernières familles Jarawas. Certains ont même jeté bananes et biscuits à des adolescentes obligées de danser contre de l'argent.

Malgré leur interdiction, ces odieux safaris humains se poursuivent, rapporte The Observer. Ils sont même une activité prisée des touristes, précise Survival International.

Les tentatives pour éloigner les visiteurs des territoires tribaux n'ont jusqu'alors pas réussi. Certains jeunes Jarawas sont touchés par l'alcoolisme, beaucoup ne vivent plus que de mendicité. Des cas de viols de jeunes Jarawas ont aussi été recensés.
Un film récent, "Nous sommes l'humanité", décrit d'ailleurs la vie de ces derniers Jarawas, menacés de disparition et dont le classement en Scheduled tribes n'améliore pas vraiment le sort.

Survival International appelle désormais à un boycott du tourisme aux Andaman, qui concentrent aujourd'hui  les méfaits connus du  développement : pollution, dénaturation des modes de vie locaux et dégradation du milieu naturel.

Si rien n'infléchit cette tendance, l'archipel ne sera plus bientôt qu'un autre de ces paradis perdus où, année après année, les scientifiques décompteront les derniers autochtones et observeront la dégradation de la biodiversité. Sauf si des modes de développement alternatifs sont mis en place.

Mais c'est peu probable : le gouvernement Modi vient de lancer un ambitieux plan de développement de l'industrie maritime dans l'archipel sur 15 ans.

Un projet qui n'est d'ailleurs pas dépourvu d'arrière-pensée géopolitique. Car l'Inde est légitimement inquiète de son encerclement progressif par le "collier de perles" chinois, ce réseau de bases que déploie la Chine le long des couloirs maritimes stratégiques en Asie. Or, les Andaman & Nicobar occupent une position stratégique dans l'Océan indien. Dans cette région du monde, l'archipel est donc une base insulaire que l'Inde ne peut se permettre de laisser "sous-développée".
 * * *
 (1) - Les îles sont reliées au continent par bateaux, et par des vols intérieurs qui atterrissent à l'aéroport militaire de Port Blair. La population locale, consultée, a refusé l’ouverture d’un aéroport international.
- Ce texte est sous copyright © Bénédicte Manier. Reproduction interdite sans autorisation. Toute citation partielle devra aussi impérativement donner la source. 
 - Photos Wikipedia et Survival International

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