Cohabiter avec les autres espèces urbaines
Un matin, à Jaipur, j'ai tenté de calculer combien d'animaux j'avais croisés en à peine trente minutes d'auto-rickshaw entre
Chameli Market et une des murailles de la ville : deux ânes,
une famille de singes détalant sur des balcons, un éléphant,
plusieurs vaches, deux ou trois buffles, des chèvres, des poules, un
porc, plusieurs écureuils et un cheval. Échantillon sans doute non représentatif.
Les villes indiennes regorgent
d'animaux et de toutes les capitales mondiales, Delhi pourrait bien être celle qui en compte le plus.
Petit inventaire (non exhaustif) des espèces urbaines avec lesquelles nous cohabitons, souvent sans les
voir :
- Les singes. Des milliers de macaques courent d'étage en étage sur les immeubles de Delhi, pour chaparder de la nourriture dans les
cuisines. "Il
est normal de les voir
dans nos villes", rappelle Rajesh, un ami indien. "Nous
avons détruit leurs forêts et ils cherchent maintenant d'autres
habitats pour vivre et se nourrir".
Pendant que j'écris, sur la terrasse de la maison où je loge, à New Rajinder Nagar (ouest de Delhi), un jeune macaque vient d'ailleurs s'asseoir sur le bord du
toit et me regarde tranquillement.
Mais certains sont devenus si
agressifs - 4.500 personnes mordues ces quatre dernières années - qu'il a fallu former des agents pour les effrayer. et les éloigner des bâtiments publics, comme le Parlement.
Pour
l'anecdote, la famille de macaques la mieux lotie de Delhi est celle qui
s'est installée sur un des toits du vénérable Hotel Imperial, sur Janpath. Quasi
domestique, elle est nourrie gracieusement par le personnel...
- Les paons. Des oiseaux porte-bonheur. L'un de mes voisins en a un
sur sa terrasse, qui a dû être un coq dans une vie antérieure, car il
salue chaque lever du soleil d'un cri braillard.
- Les
abeilles. "Un jour où je passais dans une rue d'Old Delhi",
m'a dit Avnish, un ami indien, "j'ai vu une abeille s'envoler de la barbe d'un marchand de rue, assis
derrière son petit étal. Je
me suis approché et j'ai réalisé que ce n'était pas sa
barbe, mais un essaim d'abeilles, qui couvrait la moitié de son
visage. Il était une petite ruche vivante. Je lui ai demandé si les
insectes ne le dérangeaient pas, ou ne le piquaient pas. Il m'a
répondu : pas du tout. Le principal est que moi, je ne les dérange
pas".
- Des
perroquets vert vif, qui regardent les passants juchés sur les
barrières du parc de Sunder Nagar. Et des milliers, des millions
d'oiseaux dans les arbres: petits, bruns, plus grands à longues
pattes et à tête perchée, des becs rouges ou jaunes, des crêtes
oranges.
- Les écureuils : ils cavalent du haut en bas des troncs d'arbres à une vitesse folle. Toujours en couple.
- D'innombrables espèces d'oiseaux : de piafs à plumage brun ou vert, à bec jaune ou rouge. Certains sont delhiites depuis des
générations mais d'autres sont des migrateurs, qui aménagent leurs
refuges saisonniers dans les interstices de la jungle urbaine.
Mais aussi des tadornes, des oies, des sarcelles, des échasses, des avocettes... Car Delhi recèle une incroyable diversité aviaire, avec des centaines d'espèces.
Ce qui explique la présence du Jain Bird Hospital, dans Old Delhi, une clinique qui soigne des milliers d'oiseaux blessés chaque année, par la pollution, les cerfs-volants, les voitures et les hommes.
L'hôpital accueille tous les oiseaux, sauf ... les carnassiers, car les Jains, strictement végétariens, refusent de manipuler de la viande. Or, Delhi compte de nombreux rapaces, comme les busards et surtout les cheel
(milans noirs), que j'ai longtemps confondus avec des aigles ou des vautours. C'est un Delhiite qui m'a expliqué qu'ils nichent sur le campus nord de Delhi University, mais qu'ils tournoient
toute la journée au-dessus des abattoirs, dans le quartier musulman, et près du marché aux volailles de Ghazipur,
à l'est. Et, évidemment, au-dessus des décharges.Faute de trouver refuge au Jain Birds Hospital, les milans blessés sont donc recueillis par deux frères, qui ont improvisé une clinique sur leur toit, dans le quartier musulman.
- Des
daims. Dans le Deer Park, bien sûr, mais aussi dans la Central ridge reserve forest,
la grande forêt de la ville. Si on la traverse de bon matin, on aperçoit leurs têtes fines aux grands yeux émerger des buissons,
dans la grisaille brumeuse de l'aube.
- Des
éléphants, évidemment. Symboles de puissance, ils habitent Delhi depuis des siècles, amenés par les princes moghols. Mais il n'en reste qu'une dizaine aujourd'hui. Jusqu'en 2010, les
majestueux haathis vivaient
avec leurs cornacs sur les rives de la Yamuna, près du quartier
tibétain. Ils ont été chassés quand une des rives a été
convertie en village olympique pour les Jeux du Commonwealth et relégués plus au nord, dans un
bidonville.
Alors que l'eau leur est indispensable, ils n'ont plus
accès au fleuve qu'en traversant à leurs risques et périls une
double autoroute bondée. Deux ont déjà été tués par des
camions. Ils risquent de disparaître
et avec eux, une partie de la vieille Delhi moghole.
- Les
chiens errants. Ils forment un petit peuple calme et résilient, qu'on voit rarement courir ou aboyer. Ils se nourrissent de ce
qu'ils trouvent et dorment à l'ombre, souvent sous les voitures.
Pavan Varma a écrit des passages savoureux sur "the Indian dog", dans son livre sur la classe moyenne indienne.
La police de la capitale en a recueilli quelques-un pour les former à devenir des chiens policiers.
- Des
vaches, enfin. Qui doivent leur salut au respect divin qu'elles inspirent, car elles risquent leur vie à chaque fois qu'elles traversent les rues, de leur pas lent de déesses. C'est en partie grâce à elles que les sacs de
plastique ont été interdits dans la capitale : elles s'étouffaient
en les ingurgitant, parmi les autres déchets des
rues.
Elles sont plus nombreuses qu'on l'imagine à errer dans les rues : en un an, quelque 31.00 animaux, dont plus de 15.000 vaches, 7.800 veaux et 7.600 taureaux ont été enlevés des rues de Jaipur, pour être emmenés dans des refuges à la campagne, sans compter quelque 70 buffles. Et il en reste sans doute au moins autant.
Enfin, on croise aussi dans les villes des chèvres, des antilopes, des buffles, des serpents, 50 espèces de papillons, et des quantités d'insectes rampants, comme d'impressionnantes fourmis.
Pourquoi une telle biodiversité animale à Delhi ? Parce que ces premiers habitants de la capitale vivaient dans les grandes forêts qui l'entouraient autrefois. Et qu'il reste 80 km2 d'espaces boisés qui leur servent d'habitat naturel. La Yamuna, rivière pourtant tuée par la pollution chimique, leur offre également des rives humides accueillantes.
Les égouts leur plaisent aussi : des scientifiques ont recensé 75 espèces d'oiseaux nichant tranquillement dans l'égout de Najagfarh, un des plus grands cloaques à ciel ouvert de Delhi. Enfin, ces espèces trouvent à se nourrir dans les nombreuses décharges de la ville.
En général, les Delhiites respectent cette faune, car les animaux sont, pour les hindous, les avatars ordinaires des dieux. Mais elle est aujourd'hui en danger, menacée par la pollution, la folie automobile, l'extension des zones habitées et les bouleversements dus aux transports (comme le creusement du métro).
Elles sont plus nombreuses qu'on l'imagine à errer dans les rues : en un an, quelque 31.00 animaux, dont plus de 15.000 vaches, 7.800 veaux et 7.600 taureaux ont été enlevés des rues de Jaipur, pour être emmenés dans des refuges à la campagne, sans compter quelque 70 buffles. Et il en reste sans doute au moins autant.
Enfin, on croise aussi dans les villes des chèvres, des antilopes, des buffles, des serpents, 50 espèces de papillons, et des quantités d'insectes rampants, comme d'impressionnantes fourmis.
Pourquoi une telle biodiversité animale à Delhi ? Parce que ces premiers habitants de la capitale vivaient dans les grandes forêts qui l'entouraient autrefois. Et qu'il reste 80 km2 d'espaces boisés qui leur servent d'habitat naturel. La Yamuna, rivière pourtant tuée par la pollution chimique, leur offre également des rives humides accueillantes.
Les égouts leur plaisent aussi : des scientifiques ont recensé 75 espèces d'oiseaux nichant tranquillement dans l'égout de Najagfarh, un des plus grands cloaques à ciel ouvert de Delhi. Enfin, ces espèces trouvent à se nourrir dans les nombreuses décharges de la ville.
En général, les Delhiites respectent cette faune, car les animaux sont, pour les hindous, les avatars ordinaires des dieux. Mais elle est aujourd'hui en danger, menacée par la pollution, la folie automobile, l'extension des zones habitées et les bouleversements dus aux transports (comme le creusement du métro).
Pourtant, l'Inde n'est pas indifférente au sort des animaux. Delhi compte plusieurs réserves, notamment celle des oiseaux à Okhla. Des oiseaux qu'il est interdit de mettre en cage, car la justice leur a reconnu en 2015 le droit fondamental de voler librement.
Et si on trouve un animal malade ou blessé, il existe plusieurs numéros d'urgence dans la capitale pour prévenir les secours animaliers gérés par des associations.
Plusieurs villes indiennes comptent également des hôpitaux caritatifs pour animaux, comme celui de Bombay, doublé d'un service d'ambulance.
Enfin, l'Inde a été le premier pays à reconnaître les
dauphins comme des "personnes non humaines" dotées d'une
conscience.
Quant aux animaux, personne ne sait comment ils nous considèrent... Sans doute comme une étrange espèce humaine. Qui se montre souvent, elle, dépourvue de
conscience.
©
Bénédicte Manier (reproduction interdite sans autorisation)
Commentaires
Enregistrer un commentaire