En Inde, les vendeurs de rue, indispensables, mais précaires


Chaque jour, on leur achète de l'eau, des dosas, du thé, des mangues, des magazines.... Ce sont les 10 millions de vendeurs de rue indiens. Petites mains du commerce de détail, ils apportent des services irremplaçables. Mais ils ne parviennent pas à sortir de la pauvreté et peinent à faire reconnaître leurs droits. 

En général, ils arrivent à l'aube dans les rues de Delhi, d'Hyderabad ou de Bombay, et déballent leurs produits sur une toile à même le sol. Ou installent leur petit étal ambulant à un emplacement fixe, sur un trottoir. Un grand nombre - comme les sabzi wallahs (marchands des quatre saisons) - sillonne aussi les quartiers en poussant une charrette de bois chargée de fruits et de légumes.

Mais tous doivent payer un bakchich (hafta) à une mafia locale, ou au commerçant dont ils occupent le trottoir, ou aux policiers du quartier, pour éviter d'être harcelés ou chassés. Car ces marchande-e-s de  basse caste sont souvent jugés indésirables par les autorités des villes et des villages.

Des revenus précaires

À la nuit tombée, beaucoup travaillent encore à la lueur d'une petite lampe, mais leurs longues journées de travail (huit à douze heures) leur rapportent peu. Si leur revenu moyen varie de 1200 à 2400 roupies (15 à 30 euros)  par mois, il existe de grandes différences entre les professions.

Le pani wallah (vendeur d'eau), debout au coin des rues avec sa carriole de métal nickelé, ne gagne ainsi que quelques centaines de roupies par mois, à raison de 2 roupies le verre (ou 7 roupies le fresh  lime, avec un citron pressé).

Le paan wallah (marchand de tabac et de bétel à chiquer), le pani puri wallah (vendeur de puris, petits pains frits), le vendeur de masala dosa (crêpe fourrée de légumes épicés), le phool wallah  (marchand-e de fleurs) ou le chaï wallah (vendeur de thé) s'en tirent un peu mieux : ils peuvent gagner jusqu'à 4.000 roupies par mois (environ 50 euros).

D'autres métiers de rue, tels le barbier, installé avec sa chaise et son petit miroir au coin d'un mur, le mochi wallah (cordonnier), le kaan saaf wallah (nettoyeur d'oreilles), ou le chabi wallah (qui reproduit des clés), ont des revenus variables, selon la demande ou les quartiers. Le site d'information Scroll a eu l'excellente idée de décrire l'économie de ces petits commerces, en détaillant leurs coûts et leurs revenus quotidiens.

Mais leurs faibles gains les rendent vulnérables : pour acheter leur marchandise ou leur étal, 65% se sont endettés auprès d'usuriers, qui leur extorquent des taux d'intérêt de 120% à 400%.
 
Plus de 11% de l'emploi urbain  

Ces commerçants constituent le paysage familier des villes de l'Inde : leurs cris résonnent dans les quartiers ("brindjal, aloooo") et ils fournissent des services indispensables, en étant toujours là quand on a soif, faim, ou besoin d'une clé. Leurs prix bas en font les fournisseurs quotidiens des classes populaires. 

Ils sont les visages les plus visibles de l'emploi informel, secteur qui absorbe la grande majorité des chômeurs et représente 81 % des emplois indiens, selon un rapport de l'OIT.
À eux seuls, ils représentent plus de 11% de l'emploi urbain en Inde.

Une très intéressante étude réalisée dans dix villes indiennes trace le portrait de ces commerçants de proximité. On y apprend notamment que beaucoup sont d'anciens paysans ruinés, partis en ville chercher de quoi faire vivre leur famille. La plupart vivent dans des abris de fortune ou des bidonvilles.
Mais en dépit de leur précarité chronique, ils rivalisent de savoir-faire : il existe souvent, par exemple, une compétition entre chaï wallahs d'une même ville pour servir le meilleur thé.

Depuis 1998, une organisation, la National association of street vendors of India (NASVI), qui compte 700.000 membres, les défend, les informe sur leurs droits et milite pour qu'ils bénéficient d'une protection sociale. La Cour Suprême a reconnu en 2010 que tenir un commerce de rue était un droit fondamental pour survivre.
Mais il a fallu des années de lutte, marquées par une longue grève de milliers de vendeuses, pour que la NASVI obtienne qu'une loi, entrée en vigueur en 2014,  leur attribue une licence municipale et une zone de vente attitrée, pour les protéger des expulsions.

Cette loi reste toutefois mal appliquée : sur les 450.000 vendeurs de Delhi, seuls 3.000 (moins de 1%) ont réussi à obtenir une licence. Ils craignent aussi d'être de plus en plus chassés, à mesure que les villes se modernisent. 

Début 2018, une vive polémique les a opposés au gouvernement.
Interrogé sur la création d'emplois dans le pays, le Premier ministre Narendra Modi a affirmé à qu'après tout, vendre des pakodas (beignets de légumes) dans la rue était un emploi.

Dans une lettre ouverte, une association de vendeurs de rue de Bangalore a répliqué que c'était oublier les raisons qui poussaient les pauvres vers cette activité, faute de mieux : la crise agricole, la sécheresse qui ruine les campagnes et le manque chronique d'emplois dans le secteur formel.

Et citer ce métier, a ajouté l'organisation, ne doit pas constituer "une excuse pour votre incapacité à fournir des emplois aux citoyens de ce pays".

À la suite de quoi de nombreux vendeurs ont ironiquement rebaptisé leur enseigne : "chez Narendra Modi, vente de pakodas". En demandant : "quand viendront nos acche din ?" (1) Nos "beaux jours", une promesse électorale du chef de gouvernement.



 (1)  "Acche din aane wale hain" ("Les beaux jours arrivent") était le slogan de campagne du BJP, lors de la campagne électorale de 2014, qui a mené ce parti au pouvoir.



 
Ce texte est sous COPYRIGHT © Bénédicte Manier (il n'est pas permis de le reproduire sans autorisation. Toute citation partielle devra aussi impérativement donner la source.)
Photos Wikimedia et NASVI.  

(ce blog est personnel : ses textes et ses opinions n'engagent aucunement l'AFP, où l'auteure est journaliste)




 

Commentaires

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