Les petits bonheurs de l'Inde (inventaire non exhaustif)

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À
la
sortie de l’aéroport, sentir la première odeur de la ville, celle
dont la passerelle fermée de l’avion nous prive (j'aime
descendre l'escalier d'un avion : c’est là où l’on
respire pour la première fois l'air d’une ville inconnue.
Empreinte primitive, primordiale... La première odeur de l’Inde, on
ne l’oublie jamais).
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Plonger dans
la touffeur des rues, le vacarme, les klaxons, la ruée mécanique
des scooters, des voitures, des
auto-rickshaws.
Parcourir en voiture, sous la lune, les avenues familières, dans une
légère brume de fin de mousson. Juste avant minuit, l'obscurité
favorise l'intimité avec la ville qui s'endort.
-- Flâner en vélo-rickshaw dans les rues de Chandni Chowk, le
vieux bazar moghol d'Old Delhi, au milieu des vieilles havelis
dégradées
et des étals de fruits, de guirlandes de fleurs et de jalebis.
Le "carrefour de la lune", construit au cœur de
Shajahanabad, l'ancienne capitale moghole, tire son nom d'un plan
d'eau dans lequel la lune se reflétait.
--Rencontrer des fermier-ère-s, des tisserands, des potiers. Manger,
vivre avec eux. Parler au médecin du dispensaire, au sarpanch,
au vendeur du petit kirana
(épicerie
locale), à l'institutrice. Répondre au joyeux "namaskar"
collectif des enfants de l'école.
Souvent, je prends une minute pour embrasser la vue du village, en faire une photographie mentale, et me dire que j'ai une chance inouïe de me mêler à cette Inde-là. Avant, sans doute, qu'elle ne se dénature, sous l'effet d'une urbanisation rapide.
Souvent, je prends une minute pour embrasser la vue du village, en faire une photographie mentale, et me dire que j'ai une chance inouïe de me mêler à cette Inde-là. Avant, sans doute, qu'elle ne se dénature, sous l'effet d'une urbanisation rapide.
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Ne rien planifier. Prendre le temps, au lieu de le laisser nous
prendre. Laisser venir. Tout arrive toujours naturellement en
Inde. Les coups de fil, les sourires, les rencontres, les nouveaux
paysages. La route est ouverte.

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Au fil des voyages, lire sur les panneaux les noms de me
faisaient rêver, enfant : Mysore, Coimbatore, Coromandel,
Jodhpur...

-- L'"Indian nod". Ou "Indian bobble". Plutôt difficile, surtout dans ses nuances: le "yes bobble", le "no bobble", le maybe bobble", le "not convinced bobble", ou le "what's up bobble". Prendre un miroir et s'entraîner avec ce tutoriel.

-- Déambuler, tôt le matin, dans la poésie solitaire du Fort rouge. Abandonné, dans sa défaite, aux écureuils et aux oiseaux.
-- Les sculptures des temples et des palais, de toutes les époques: les colonnes de grès des Gupta, les merveilles de marbre sculpté, ajouré, ciselé des Moghols. Il faudra que j’écrive un jour sur le génie architectural de l’Inde.
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Le génie de la société civile et de ses grassroots innovations. En reboisant, en restaurant les écosystèmes, en appliquant les solutions écologiques de demain (la permaculture, le Barefoot
College, le réseau Honey Bee, etc), les Indien-ne-s réfléchissent, résistent, innovent (voir mon livre Made
in India).
-- Parcourir le pays en Ambassador, cette
voiture solide, rustique, dont les suspensions défient tous les nids-de-poule du sous-continent. L'arrêt de sa fabrication est une
indécence de plus de la mondialisation.

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La mousson. Pour
ses orages spectaculaires. Et ses paysages de peintre : le vert acide
des rizières sous un ciel charbonneux, les mille verts profonds
des
champs et des palmiers… Des toiles de Van Gogh, grandeur
nature. Et pour le petrichor,
l'odeur laissée par la pluie : celle de la geeli
mitti –
la
terre humide – complétée des mille parfums
végétaux
des
jardins détrempés. De
toutes les saisons,
la mousson est celle qui éveille
le
plus les sens.
On l'apprécie moins en ville, où l'on respire alors un air épais, saturé d'humidité et de pollution, et où l'on circule dans des rues inondées d'eau grise, irisée de diesel.

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Gandhi Smriti. Il m'arrive de retourner à la vieille villa des Birla, à Delhi. Feuilleter les livres de la petite
librairie, aux vitrines anciennes. Retrouver l'aube d'une
Inde qui aurait pu être différente. Revoir les lunettes du Mahatma, qui
m'émeuvent toujours. Mon grand-père, que je n'ai pas connu, est
mort le même jour que lui.
-- Le couloir de marbre blanc, calme, dépouillé, d'une haveli d'Udaipur. Au bout, une porte : elle s'ouvre sur le lac Pichola. Une maison dont le jardin est un lac. Un rêve.
Copyright Bénédicte Manier
(ce
blog est personnel : ses textes et ses opinions n'engagent en aucun cas l'AFP, où l'auteure est journaliste)
Photos Bénédicte Manier, Wikipedia
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