Les pionniers indiens du micro-solaire



En matière de transition énergétique, l'Inde offre quelques réalisations spectaculaires : la plus puissante centrale photovoltaïque du monde, ainsi qu'un train et des aéroports 100% solaire (Cochin et bientôt Bhopal). Mais plus silencieusement, le pays avance aussi dans l'équipement des plus modestes. Un réseau unique de PME et d'ONG rend en effet le solaire accessible aux petits villages et aux bidonvilles. Petit voyage dans les initiatives de terrain.

Bhushan Trivedi, que j'ai rencontré à Bombay, est l'un des artisans de ces transitions locales. Dans cette ville où il a grandi, les plus pauvres dépensent jusqu'à 6.000 roupies par an pour le kérosène de leurs lampes.
Il a donc développé Helios, un kit domestique d'éclairage solaire qui ne coûte que 2.500 roupies. "Le panneau sur le toit dure 15 à 20 ans. Il faut juste remplacer la batterie tous les trois ans, pour 350 roupies", explique-t-il. Une somme réduite pour les familles, dont le paiement est étalé en fonction des ressources.

Sa micro-entreprise Piconergy a déjà équipé plus de 250 foyers ruraux et urbains pauvres, notamment dans les bidonvilles de Bombay. Ce qui permet aux habitants d'étudier et de travailler une fois la nuit tombée, sans fumée nocive. Et de recharger leur portable chez eux, sans payer la recharge chez un commerçant.

 "En Inde, 300 millions d'habitants sont encore privés d'électricité", rappelle Bhushan. Soit un quart de la population, dont l'équipement en électricité d'origine renouvelable est un enjeu important de la transition énergétique du pays, explique-t-il dans cette vidéo. D'autant que 90 millions de lampes à kérosène rurales contribuent encore à la pollution de l'air et que certaines régions isolées ne seront, de toute façon, jamais reliées au réseau électrique.

Plusieurs milliers de villages éclairés


Loin des méga-centrales solaires, la fourniture d'énergie à des centaines de millions de familles repose donc en grande partie sur le travail de fourmi de petits entrepreneurs comme Bhushan, qui, déjà, ont permis à plusieurs milliers de villages indiens d'être autonomes en éclairage solaire. 

Parmi ces PME, Simpa Networks, par exemple, a fourni des panneaux à plus de 167.000 villageois dans le pays. De son côté, Mera Gao Power a installé des micro-réseaux solaires dans 600 villages de l'Uttar Pradesh, là où Omnigrid Micropower Company a aussi équipé 3.000 foyers.    


L'un des premiers à avoir agi dans ce domaine est Harish Hande : il a créé son entreprise sociale, Selco, dès 1995, et celle-ci a apporté l'électricité solaire à plus de 200.000 familles rurales, 5.000 institutions (centres de santé, administrations... ) et 500 écoles. Des équipements financés par micro-crédits, pour à peine 40% du coût mensuel d'une lampe à kérosène.   

Cet ingénieur de Bangalore équipe aussi les bidonvilles en panneaux solaires mobiles et en stations de recharge. Il a enfin installé des micro-points de recharge dans 200 écoles du Karnataka, qui ont amélioré l’assiduité scolaire : ramener de la lumière à la maison, le soir, est une motivation supplémentaire pour les élèves.  

Les ONG y contribuent également à ce changement. Comme Greenpeace, qui a électrifié au solaire le village de Dharnai (Bihar), ou TERI qui a installé un système de locations de lampes solaires low cost dans 2.000 villages. 

D'autres ONG aident les plus démunis à s'auto-équiper. Dans le Rajasthan, le Barefoot College a depuis 20 ans transformé plusieurs milliers de femmes rurales illettrées en "ingénieures aux pieds nus" : venues de toute l'Inde et de plusieurs pays d'Afrique, elles ont, de retour chez elles, installé l’électricité solaire chez 500.000 personnes, dans 72 pays.


Le Barefoot College a aussi créé 500 écoles éclairées au solaire


Même démarche pour l’association Pollinate Energy de Bangalore : elle forme des micro-entrepreneurs issus des bidonvilles, qui ont installé des panneaux photovoltaïques chez  10.000 familles indiennes.

Ces initiatives sociales et écologiques, que je décris dans mon livre Made in India, sont aujourd'hui facilitées par la fabrication en Inde d'équipements solaires peu coûteux. 

 Plusieurs centres de santé ruraux ont ainsi été dotés d'appareils de diagnostic rechargés au solaire, et plusieurs écoles rurales équipées de supports innovants. Dans le Karnataka, par exemple, 35 écoles (2.000 élèves) étudient sur des tablettes éducatives reliées à des panneaux solaires.

La baisse des coûts permet aussi à l"innovation frugale indienne (jugaad) de multiplier les solutions pratiques, comme les vélos-rickshaws solaires à New Delhi, ou les puits et pompes d'irrigation solaires dans les campagnes. Et même de créer des voitures hybrides solaires.

Aller au-delà de l'éclairage

Tout n'est pourtant pas idyllique dans ces solutions de terrain : les micro-réseaux de village ont parfois des défaillances et, en général, les petits panneaux domestiques permettent juste de s'éclairer.

La prochaine étape pour le solaire est donc de faire également fonctionner les ventilateurs, les télévisions, les machines des artisans, ainsi que les échoppes des commerçants ruraux, qui ont encore des groupes électrogènes au diesel.
Et surtout de remplacer, à terme, une autre source importante de pollution: l'utilisation de la biomasse (bois, bouse) dans les cuisines rurales.


Équiper massivement les campagnes indiennes en énergie solaire est donc un enjeu d'avenir, dans un pays où la double croissance - démographique et économique - est énergétivore.

Pour répondre à une demande en forte croissance, l'Inde devra en effet quadrupler sa production électrique d'ici 2040, selon l'Agence internationale de l'Énergie. Elle sera alors le pays le plus peuplé du monde.



Face à ces immenses besoins énergétiques, les équipements solaires de villages ne sont encore qu'une goutte d'eau.
Mais ils sont indispensables au monde rural et, surtout, ils rendent les nouvelles énergies accessibles aux 30% du 1,3 milliard d'Indiens qui vivent sous le seuil de pauvreté absolue.

Et, petit à petit, ils contribuent à la transition énergétique en cours. En trois ans, l'Inde, 4e émetteur mondial de CO2, a en effet quadruplé sa capacité solaire installée, à 12 GW fin 2016. Celle-ci devrait atteindre 18 GW fin 2017. Dans cette progression, les panneaux solaires de toits auront, en un an, ainsi fourni une capacité supplémentaire de 1,1 GW. Dans les grandes villes, comme dans les petits villages.

                          * * *

 (Pour une vision complète de la transition énergétique de l'Inde, je renvoie à cet article dans le mensuel Alternatives Économiques).






© Bénédicte Manier
(ce blog est personnel : ses textes et ses opinions n'engagent aucunement l'AFP, où je travaille)






 

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