Les Indiennes s’emparent du web pour combattre les violences
En
quelques mois, Aranya Johar, 18
ans, est devenue une icône
en Inde, avec un slam
intitulé "A Brown Girl's Guide to Gender", filmé sur scène, posté sur Youtube et visionné
plus d’un million de
fois. Dans
ce texte, la jeune poétesse et slameuse de Bombay dénonce la mentalité des hommes qui ne considèrent les
femmes que comme des objets sexuels, dans une société patriarcale
où les violences conjugales et sexuelles sont un fléau.
Chaque jour, 93 viols sont en effet
enregistrés dans le pays – une statistique qui reflète mal la
réalité, car le silence et la honte des victimes cachent un chiffre
bien supérieur.
La
notoriété croissante d’Aranya Johar n’est qu’une des
nombreuses
expressions d’une
nouvelle vague de féminisme, qui a émergé il y a quelques années dans
les villes (voir l’article
précédent : "Why Loiter ? Ou le nouveau féminisme
urbain") et s’est renforcée après le viol meurtrier de la jeune
Jyoti Singh en décembre 2012 à New Delhi. Un crime
barbare qui a
secoué l’Inde entière, provoqué des manifestations de centaines
de milliers de personnes et entraîné une aggravation des peines
contre les violeurs.
Après la vidéo virale d’Aranya Johar, diffusée
pour la Journée internationale des femmes, en mars, les
féministes ont récemment
trouvé un autre
moyen de protestation, lui aussi artistique
: diffuser sur internet des
photos d’elles portant
des masques de vaches.
Pourquoi ? Pour dénoncer un nationalisme hindou dont les représentants gouvernent l'Inde depuis 2014 et qui semble mieux protéger les vaches sacrées que les femmes.
Depuis
plusieurs mois en effet, des groupes fondamentalistes hindous ont
déclaré la guerre à ceux qui vivent de la filière bovine,
tous musulmans ou hindous de basses castes. Ces violents gau
rakshaks (défenseurs
des vaches) incendient
les boucheries musulmanes, harcèlent vendeurs de bétail et employés
d’abattoirs, et vont jusqu’à les lyncher. Des exactions qui ont
déjà fait plusieurs morts.
La protection des vaches semble ainsi
être devenue la priorité du
nationalisme hindou radical. D’où l’interpellation imagée de
ces femmes.
L’idée en revient au
photographe Sujatro Ghosh, qui a invité
ses amies à poser avec ces
masques. Et le buzz créé par
ses photos a permis de
soulever publiquement
cette question : "les vaches sont-elles aujourd'hui mieux protégées que les femmes" en Inde?
De
photos en vidéos, le web est devenu une arme efficace pour diffuser les
revendications des femmes : Facebook, Twitter, Instagram, Youtube et
les nombreux blogs féministes rallient une jeune génération qui
dénonce la violence dans l’espace privé et public. Et exige une police et une justice
efficaces, des moyens d’alerte et des éclairages pour
les rues obscures.
Des
revendications qui, visiblement, dérangent, car plusieurs blogueuses
indiennes se sont déjà fait agresser ou ont reçu des menaces de
mort.
Au sein de cette jeune
génération éduquée, active, connectée, cette mobilisation sur le web est, pour le moment, surtout urbaine. Mais rien ne dit que
dans un pays où la croissance de l’internet mobile est une des
plus rapides au monde (avec un milliard de téléphones portables),
elle ne s’étendra pas bientôt aux régions rurales.
© Bénédicte Manier
(ce blog est personnel : ses textes et ses opinions n'engagent aucunement l'AFP, où je travaille)
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